2.3.4. Ambiguïté

De la même manière, dans nos récits, le regard se heurte parfois à l’ambiguïté de l’apparence des personnages. C’est le cas dans L’Immoraliste, lorsque Michel observe Bute :

Bute « déshabilla le pays. Avidement je me penchai sur mon mystère. Tout à la fois il dépassait mon espérance, et ne me satisfaisait pas. Était-ce là ce qui grondait sous l’apparence ? ou peut-être n’était-ce encore qu’une nouvelle hypocrisie[1] ? » se demande Michel.

Gide pose, dans La Symphonie pastorale, le problème de l’impossible conciliation des phénomènes visuels et auditifs par l’intermédiaire de Gertrude et du pasteur :

« Regardez-moi : est-ce que cela ne se voit pas sur le visage, quand ce que l’on dit n’est pas vrai ? Moi, je le reconnais si bien à la voix[2]. » dit Gertrude.

Gide utilise alors pour répondre une sorte de chiasme oxymorique, qui sonne comme une prétérition pour le lecteur :

« Vous préférez me laisser croire que je suis laide, dit-elle alors avec une moue charmante[3] » demande Gertrude.

ou de nature biblique :

« Je te l’ai dit, Gertrude, : ceux qui ont des yeux sont ceux qui ne savent pas regarder[4]. » dit le pasteur.

Nous avons pu voir que le regard possède ses propres limites à l’intérieur de nos récits et que son utilisation par les personnages trouve parfois ses restrictions. Le simple manque d’attention ou de lucidité peut aboutir à une vision faussée, imparfaite et irréelle, voire à une sorte d’incommunicabilité. Si regarder est quelquefois donné comme l’action la moins pénible, elle est néanmoins soumise à la volonté et sensible à la confusion. La part de subjectivité qui l’habite, agit parfois comme corruptrice sur la réalité et augmente l’ambiguïté de sa perception.



[1] p. 137, L’Immoraliste.

[2] p. 56, SP.

[3] p. 59, ibid.

[4] p. 92, ibid.