Annexes

 

Annexe 1 : Allégorie de la Caverne de Platon
Annexe 2 : Du Côté de chez Swann de Proust
Annexe 3 : Mon autre moi-même de Heine

Puce Annexe I : Allégorie de la Caverne de Platon (La République, Livre VII, Nathan, Paris 1991, p. 50-53)

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Socrate - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu'elle a été instruite ou ne l'a pas été, sous des traits de ce genre : imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière : ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur brûle derrière eux ; et entre le feu et les prisonniers s'élève un chemin le long duquel imagine qu'un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.

 

Glaucon - Je vois.

 

S.- Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d'objets qui dépassent le mur ; des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, faits de toutes sortes de matériaux ; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d'autres qui se taisent.

 

G.- Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers .

 

S.- Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d'eux-mêmes et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?

 

G.- Comment cela se pourrait-il, en effet, s'ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant toute leur vie ?

 

S.- Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu'il n'en sera pas de même ?

 

G.- Bien sûr.

 

S.- Mais, dans ces conditions, s'ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas qu'ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu'ils voient ?

 

G.- Nécessairement.

 

S.- Et s'il v avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face ? Chaque fois que l'un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l'ombre qui passe devant eux ?

 

G.- Ma foi non.

 

S.- Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.

 

G.- De toute nécessité.

 

S.- Envisage maintenant ce qu'ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes et à être guéris de leur ignorance, si cela leur arrivait, tout naturellement, comme suit : si l'un d'eux était délivré et forcé soudain de se lever, de tourner le cou, de marcher et de regarder la lumière ; s'il souffrait de faire tous ces mouvements et que, tout ébloui, il fût incapable de regarder les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu'il répondrait si on lui disait que jusqu'alors il n'a vu que des futilités mais que, maintenant, plus près de la réalité et tourné vers des êtres plus réels, il voit plus juste ; lorsque, enfin, en lui montrant chacun des objets qui passent, on l'obligerait à force de questions à dire ce que c'est, ne penses-tu pas qu'il serait embarrassé et trouverait que ce qu'il voyait auparavant était plus véritable que ce qu'on lui montre maintenant ?

 

G.- Beaucoup plus véritable.

 

S.- Si on le forçait à regarder la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu'il aurait mal aux yeux, qu'il la fuirait pour se retourner vers les choses qu'il peut voir et les trouverait vraiment plus distinctes que celles qu'on lui montre ?

 

G.- Si.

 

S.- Mais si on le traînait de force tout au long de montée rude, escarpée, et qu'on ne le lâchât pas avant de l'avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu'il souffrirait et s'indignerait d'être ainsi traîné ; et que, une fois parvenu à la lumière du jour, les yeux pleins de son éclat, il ne pourrait pas discerner un seul des êtres appelés maintenant véritables ?

 

G.- Non, du moins pas sur le champ.

 

S.- Il aurait, je pense, besoin de s'habituer pour être en mesure de voir le monde d'en haut. Ce qu'il regarderait le plus facilement d'abord, ce sont les ombres, puis les reflets des hommes et des autres êtres sur l'eau, et enfin les êtres eux-mêmes. Ensuite il contemplerait plus facilement pendant la nuit les objets célestes et le ciel lui-même - en levant les yeux vers la lumière des étoiles et de la lune - qu'il ne contemplerait, de jour, le soleil et la lumière du soleil.

 

G.- Certainement.

 

S.- Finalement, je pense, c'est le soleil, et non pas son image dans les eaux ou ailleurs, mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourrait voir et contempler tel qu'il est.

 

G.- Nécessairement.

 

S.- Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c'est lui qui produit les saisons et les années qu'il gouverne tout dans le monde visible, et qu'il est la cause, d'une certaine manière, de tout ce que lui-même et les autres voyaient dans la caverne.

 

G.- Après cela, il est évident que c'est à cette conclusion qu'il en viendrait.

 

S.- Mais quoi, se souvenant de son ancienne demeure, de la science qui y est en honneur, de ses compagnons de captivité, ne penses-tu pas qu'il serait heureux de son changement et qu'il plaindrait les autres ?

 

G.- Certainement.

 

S.- Et les honneurs et les louanges qu'on pouvait s'y décerner mutuellement, et les récompenses qu'on accordait à qui distinguait avec le plus de précision les ombres qui se présentaient, à qui se rappelait le mieux celles qui avaient l'habitude de passer les premières, les dernières, ou ensemble, et à qui était le plus capable, à partir de ces observations, de présager ce qui devait arriver : crois-tu qu'il les envierait ? Crois-tu qu'il serait jaloux de ceux qui ont acquis honneur et puissance auprès des autres, et ne préférerait-il pas de loin endurer ce que dit Homère : "être un valet de ferme au service d 'un paysan pauvre", plutôt que de partager les opinions de là-bas et de vivre comme on y vivait.

 

G.- Oui, je pense qu'il accepterait de tout endurer plutôt que de vivre comme il vivait.

 

S.- Et réfléchis à ceci : si un tel homme redescend et se rassied à la même place, est-ce qu'il n'aurait pas les yeux offusqués par l'obscurité en venant brusquement du soleil ?

 

G.- Si, tout à fait.

 

S.- Et s'il lui fallait à nouveau donner son jugement sur les ombres et rivaliser avec ces hommes qui ont toujours été enchaînés, au moment où sa vue est trouble avant que ses yeux soient remis-cette réaccoutumance exigeant un certain délai - ne prêterait-il pas à rire, ne dirait-on pas à son propos que pour être monté là-haut, en est revenu les yeux gâtés et qu'il ne vaut même pas la peine d'essayer d'y monter ; et celui qui s'aviserait de les délier et de les emmener là-haut, celui-là s'ils pouvaient s'en emparer et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?

 

G.- Certainement.

 

S.- Ce tableau, il faut l'appliquer entièrement à ce qu'on a dit auparavant : en assimilant le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu au rayonnement du soleil. Et si tu poses que la montée et la contemplation des réalités d'en haut représentent l'ascension l'âme vers le monde intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque tu désires la connaître ; et Dieu sait si elle est vraie. Voici comment les choses se présentent pour moi : à l'extrémité du monde intelligible, est L'idée du Bien, qui peut à peine être contemplée mais qu'on ne peut voir sans conclure qu'elle est bien la cause de tout ce qu'il y a de rectitude et de beauté dans le monde : dans le monde visible, elle engendre la lumière et sa source souveraine, et dans le monde intelligible, souveraine, elle dispense intelligence et vérité ; et c'est elle qu'il faut contempler pour agir sagement dans la vie privée comme dans la vie publique.

 

G.- Je suis de ton avis, autant que je puis te suivre.

 

S.- Allez, suis-moi encore sur ce point : ne t'étonne pas si ceux qui sont arrivés jusque là ne veulent plus conduire les affaires humaines et si leurs âmes sont impatientes de rester toujours à cette hauteur. Ce qui est bien naturel si l'on se rapporte à notre allégorie de tout à l'heure .

 

G.- Oui, c'est naturel.

 

 

Puce Annexe II : Combray, Du côté de chez Swann de Proust (Gallimard, Folio, Paris, 1995, p. 153)

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Quand j'essaye de faire le compte de ce que je dois au côté de Méséglise, des humbles découvertes dont il fut le cadre fortuit ou le nécessaire inspirateur, je me rappelle que c'est, cet automne-là, dans une de ce promenades, près du talus broussailleux qui protège Montjouvain, que je fus frappé pour la première fois de ce désaccord entre nos impressions et leur expression habituelle. Après une heure de pluie et de vent contre lesquels j'avais lutté avec allégresse, comme j'arrivais au bord de la mare de Montjouvain, devant une petite cahute recouverte en tuiles où le jardinier de M. Vinteuil serrait ses instruments de jardinage, le soleil venait de reparaître, et ses dorures lavées par l'averse reluisaient à neuf dans le ciel, sur les arbres, sur le mur de la cahute, sur son toit de tuile encore mouillé, à la crête duquel se promenait une poule. Le vent qui soufflait tirait horizontalement les herbes folles qui avaient poussé dans la paroi du mur, et les plumes de duvet de la poule, qui, les unes et les autres se laissaient filer au gré de son souffle jusqu'à l'extrémité de leur longueur, avec l'abandon de choses inertes et légères. Le toit de tuile faisait dans la mare, que le soleil rendait de nouveau réfléchissante, une marbrure rose, à laquelle je n'avais encore jamais fait attention. Et voyant sur l'eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel, je m'écriai dans mon enthousisme en brandissant mon parapluie refermé : « Zut, zut, zut, zut » Mais en même temps je sentis que mon dévoir eût été de ne pas m'en tenir à ces mots opaques et de tâcher de voir plus clair dans mon ravissement.

 

 

Puce Annexe III : Der Doppelgänger de H. Heine, traduction de A. et F. Boutarel (Schubert, Chant du Cygne, Gérard Billaudot Editeur, Paris.)

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Calme est la nuit, la rue est déserte

À cette place, elle demeurait ;

Depuis longtemps, ma belle est partie

Pourtant sa maison est encore ici.

Tout proche de moi, un homme se dresse

Ses bras se tordent, il souffre de cœur ; je frissonne

Au clair de lune blême se montrent en lui mon visage, mes traits

Ô spectre parle, mon autre moi-même

Pourquoi singer d'affreux tourments

Dont j'ai souffert à cette place

De longues nuits, en d'autres temps ?