« Savoir voir, tout est là[1]. »

 

 

L’utilisation du regard chez Gide vise avant tout à satisfaire un besoin de progression, à assouvir une soif de connaissances, à permettre en somme de « suivre sa pente en montant ». C’est en ce sens qu’il faut d’abord comprendre division : comme la mesure de chaque pas supplémentaire vers la lucidité, comme une unité de l’entendement du monde, de l’affirmation progressive de sa propre existence puis de son ouverture à autrui. Il ne sera pour l’instant question que des phénomènes de vision qui permettent la révélation des images objectives et positives, c’est-à-dire qui reflètent de bonne foi la réalité qu’elles présentent. Ainsi, nous porterons en priorité notre étude sur le caractère protéiforme de Gide et l’invisible frontière qui l’autorise sans cesse à passer du statut d’être humain à celui d’auteur, de celui de personne à celui de personnage. Nous verrons vers quels objectifs tendent les regards gidiens, ce qui motive réellement ce formidable enthousiasme dans l’admiration et la contemplation. Nous ferons aussi un détour par l’évocation de l’aventure cinématographique et ethnographique qui l’a mené jusqu’au Congo en compagnie de Marc Allégret, en mettant en lumière quelques principes de sa relation au regard et à l’image.

Nous nous efforcerons ensuite de dresser un aperçu du regard tel qu’il se manifeste dans l’œuvre de Gide, que ce soit à travers les nombreuses fonctions qu’il assure, révélé par la nature diverse des observateurs, ou même, de façon encore plus significative, interprété d’après les descriptions qui nous en sont données. Nous pourrons constater son évolution constante permettant une sorte de renaissance de la vision.

Enfin, nous nous attacherons à donner une image la plus proche et la plus fidèle possible des jeux de perception qui poussent Gide à la découverte d’un monde admirable. Fondées sur quelques motifs visuels, nous verrons qu’il existe des situations qui attirent le regard et des descriptions qui dépassent largement la simple objectivité en engageant leur auteur. L’espace et le cadre romanesque auront notamment leur influence sur les personnages et l’utilisation qu’ils feront des jeux de regard.



[1] p. 188. Gide, André, Les nouvelles Nourritures, 1935 ; Gallimard, « Folio », Paris, 1972.