3) la vraie science comme l'art

 

L'aliénation de l'art trouve reflet dans celle de la science. Ces deux disciplines, vouées par essence au progrès et à une expression sans entraves et sans limites, sont maintenues sous la coupe du régime. L'analogie entre l'art et la science est énoncée plusieurs fois et se trouve développée implicitement dans Nous autres. En effet, la vie quotidienne que nous décrit D-503 emprunte, selon lui, sa rigueur aux mathématiques et sa beauté aux activités artistiques. Pour tous les membres de l'État Unique, l'art doit tenter de s'approcher de la science pour en apprendre la froideur, la mesure et la monotonie. Dans 1984, la science ne va plus de pair avec le progrès et ne sert plus les intérêts du parti de Big Brother : « Actuellement, la science, dans le sens ancien du mot, a presque cessé d'exister dans l'Océania. Il n'y a pas de mot pour science en novlangue. » (p. 274). On pourra noter que le statut de la science est ici en voie de devenir le même que dans Le Meilleur des Mondes : « Quand nous serons tout-puissants, nous n'aurons plus besoin de science. » dit O'Brien (p. 377). La science, comme l'art, devient une menace pour la stabilité de l'État à partir du moment où le régime a l'impression d'être arrivé au plus fort de sa domination et ne peut donc plus se permettre d'évoluer, ni techniquement, ni esthétiquement, devenant l'artisan de sa propre sclérose.

 


 

Nous avons donc pu étudier comment le mensonge peut se retourner contre le système et devenir un outil de dissidence pour certains personnages. Ainsi, dès la première remise en cause, l'espoir du changement peut renaître dans nos contre-utopies. L'engagement des personnages trouvant reflet dans la confrontation de deux mondes ambivalents l'un par rapport à l'autre. La dissidence des membres du régime est susceptible de se voir prolonger par les habitants de cet “ailleurs”. Cependant, on peut affirmer que le bonheur qui existe au sein de ce régime, est établi au détriment de la liberté des individus, à l'encontre du véritable et du naturel. L'espoir de révolution positive semble coïncider avec la redécouverte par les personnages de leur identité et de leur sensibilité artistique. Seulement, la beauté n'est plus envisagée comme officielle, mais comme rebelle, instinctive, dynamique. En effet, l'énergie de la révolte pousse l'art à se manifester. La science comme l'art ne peut exister dans les régimes totalitaires sans une perspective d'évolution, de progrès.