1) La duplicité des héros

 

Considérons les personnages principaux de nos œuvres et attardons-nous sur leurs motivations à mentir. C'est d'abord et avant tout un moyen de se défendre contre un système envahissant : l'organisation du régime a ses failles et les individus les connaissent. Dans Nous autres, I-330 initie D-503 à cet exercice : « - Je connais un médecin au Bureau Médical, il est inscrit pour moi. Si je le lui demande, il vous donnera un certificat établissant que vous avez été malade. » (p. 41) ; « C'étaient des certificats établissant que nous étions malades et ne pouvions aller à notre travail. » (p. 83). Elle fait preuve d'une véritable organisation dans laquelle D-503 joue un rôle qu'il ne connaît pas toujours : « Ci-joint mon billet... Baissez les stores, comme si j'étais chez vous... j'ai absolument besoin que l'on croie que je suis... Je regrette bien vivement... » (p. 116) ; « Tu sembles toujours me cacher quelque chose » dit D-503 à I-330 (p. 140). En fait, elle est beaucoup plus émancipée que D-503 et lui cache une partie de ses activités de dissidente pour son bien : « Je compris pourquoi I n'avait jamais parlé franchement : je ne l'aurais pas crue, même elle. » (p. 159), le mensonge devient donc positif. De plus, le mensonge est un acte de rébellion qu'il n'est pas toujours facile d'assumer : « Le sang me monta au visage. Je ne pouvais pas mentir devant ces yeux et me tus, me noyais... » (p. 92) ; « Comme il est difficile de jouer la comédie » (p. 170). D-503, comme personnage complexe, semble se dérober à lui-même, comme si une partie mentait à l'autre : « Je crois qu'ils vont pénétrer jusqu'au fond et voir ce que je n'ose m'avouer... » (p. 45) dit-il à propos des yeux de S-4711 (qu'il prend pour un gardien) ; « Cette racine imaginaire se développa en moi comme un parasite. »[1] (p. 49) ; « Je croyais que je me connaissais, quand tout à coup... » (p. 69). Cependant, le mensonge ne sert pas forcément une cause et peut être le refus d'un aveu honteux, notamment pour D-503 (« - J'étendis la main et dis, d'un ton aussi dégagé que possible : - Ce sont des mains de singe. » p. 21), ou devenir simplement involontaire, par omission : « Je compris alors que j'avais menti à la vieille : I n'était pas seule. » (p. 42) ; « Pourquoi ne m'a-t-il pas dit que cet honneur... » à propos de R-13 (p. 57) ; « - Vous voulez me cacher quelque chose » (p. 225) dit S-4711 à D-503 qui pensait : « Je ne lui cachai qu'une chose, je ne sais pourquoi, ou plutôt, si, je sais pourquoi. » (p. 221). D-503 devient de plus en plus lucide sur sa situation par rapport au régime et cultive la duplicité froidement, comme un art : « - Oui, je suis malade, lui dis-je joyeusement (c'était là une contradiction inexplicable : il n'y avait pas lieu de se réjouir). » (p. 48) ; « Ma maladie et le reste n'existent pas » (p. 49) ; « - Oui, oui, repris-je. J'ai même crié : « Arrêtez-la ! » / Il souffla derrière mes épaules : / - Vous n'avez rien crié ! / - Non, mais je le voulais. » (p. 134) ; « - On ne sait pas... / Je sais cependant... » (p. 189). Il déjoue une descente des Gardiens en improvisant un début de poème (« Le Bienfaiteur est le désinfectant le plus parfait dont a besoin l'humanité » (p. 170), ce qui fonctionne parfaitement : « C'est un peu ambigu, mais continuez tout de même. Nous ne viendrons plus vous déranger... » (p. 171)) et détourne les soupçons de ses semblables afin d'éviter la Grande Opération : « - Et vous ? me répondit une tête ronde. / - Moi, plus tard, je dois d'abord [...] » (p. 183).

En ce qui concerne Le Meilleur des Mondes, le mensonge existe de manière générale mais dissimulée : la politesse n'est-elle pas le type même du mensonge social ? Ainsi, la considération de la haute société pour Bernard Marx est hypocritement feinte : « En attendant, il y avait, il est vrai le premier Sauvage : ils étaient polis. » (p. 179). Une fois encore, cependant, la duplicité est l'un des seuls moyens de s'affirmer face à un système froid et obtus ; aussi, lorsque le contact humain s'installe, la sincérité apparaît : « rassuré par l'intelligence bienveillante du visage de l'Administrateur, il résolut de dire la vérité, en toute franchise. » (p. 242). On pourra souligner le côté christique du Sauvage (John) lors de son “arrestation” à l'Hôpital. En effet, de la même manière que l'apôtre Pierre hésitera à renier Jésus lors de sa Passion, Bernard Marx, principal compagnon de John, est irrésolu avant de le renier : « il hésita. Non, il ne pouvait pas le nier, à la vérité : - Pourquoi ne le [un ami des prévenus] serais-je pas ? demanda-t-il. » (p. 240) ; puis « Vous ne pouvez pas m'y envoyer, moi. Je n'ai rien fait. Ce sont les autres. Je jure que ce sont les autres. » (p. 250). Enfin, si l'on considère le mime comme une représentation contrefaite du monde, qui s'inscrit dans une fausse réalité, on considérera la dernière scène de l'œuvre, avec le Sauvage, comme mensongère : « ils se mirent à mimer la frénésie de ses gestes » (p. 284).

Winston, dans 1984, est construit comme l'archétype du personnage falsificateur. En effet, son opposition solitaire au régime est soulignée par ses nombreuses divergences avec les vues du Parti. Son appartement comporte une particularité qui lui permet d'espérer devenir dissident : un renfoncement dans le mur, à l'abri visuel du télécran : « Quand il s'asseyait dans l'alcôve, bien en arrière, Winston pouvait se maintenir en dehors du champ de vision du télécran. » (p. 17) Son attitude, considérée comme normale dans le régime de Big Brother, englobe la normalité et l'indifférence : « Il [Winston] avait fixé sur ses traits l'expression de tranquille optimisme qu'il était prudent de montrer quand on était en face du télécran. » (p. 16) ; « Son visage [de Winston], grâce à une longue habitude, était probablement sans expression. » (p. 34). De manière générale, en Océania, les apparences sont trompeuses. La vie quotidienne sous le régime de Big Brother est difficile et la misère contribue à l'usure des personnages : en ce qui concerne Mme Parsons, « C'était une femme d'environ trente ans, mais qui paraissait beaucoup plus âgée. » (p. 36). D'autres personnages interprètent un véritable rôle : « Il [Winston] comprit que l'homme [Martin] jouait une partie qui engageait toute sa vie et qu'il estimait dangereux d'abandonner, même pour un instant, la personnalité qu'il avait adoptée. » (p. 243). Une apparence commune et ordinaire constitue une arme défensive contre un pouvoir en perpétuelle surveillance : « aucun gouvernement n'avait le pouvoir de maintenir ses citoyens sous une surveillance constante. L'invention de l'imprimerie, cependant, permit de diriger plus facilement l'opinion publique. Le film et la radio y aidèrent encore plus. Avec le développement de la télévision et le perfectionnement technique qui rendit possibles, sur le même instrument, la réception et la transmission simultanées, ce fut la fin de la vie privée. » (p. 292) comme le souligne le “Livre de Goldstein”. De plus, nous savons - et l'avons vu - que tout l'art du régime est d'interpoler le vrai et le faux de façon imprévisible : « on sait que, de toute façon, les nouvelles sont toujours fausses. » (p. 220) confirme Winston ; « Il ne flotte pas réellement. Nous l'imaginons. C'est de l'hallucination » (p. 391) pense Winston au sujet d'O'Brien en subissant ses tortures. L'émancipation de Winston semble pourtant vouée à l'échec du fait même de l'utilisation du mensonge, dans un parcours non pas circulaire mais plutôt en forme de spirale : comme le souligne B. Gensane, « dans Une Fille de pasteur, Et Vive l'aspidistra ! et 1984, il y a prise de conscience, rejet de la norme, fuite en avant et retour au système avec réabsorption. » (p. 101). En effet, Winston et Julia se rendent compte du processus mensonger qui ronge le régime de Big Brother, vont tenter de s'y opposer de toutes leurs forces, et repousser la fausse orthodoxie du système. Ils savent cependant que leur fin est figée dans un futur plus ou moins proche mais continuent à se rencontrer. Une fois arrêtés, la torture et le conditionnement les forcent à se plier à nouveau devant le pouvoir, et ils finissent “en liberté conditionnelle” mais ne s'aiment plus. Le mensonge ne sera donc qu'un outil de cette fuite en avant. Les habitants de l'Océania souffrent d'un manque de mémoire et de lucidité. L'enfance de Winston lui demeure floue et indistincte : « Il se souvient d'événements importants qui n'ont probablement pas eu lieu » (p. 51). La formation du couple Winston/Julia va révéler cette carence de franchise. En effet, par son métier de parfait faux-monnayeur de la vérité, Winston possède une certaine conscience qu'il tente de transmettre à Julia : « Il lui parlait parfois du Commissariat aux Archives et des impudentes falsifications qui s'y perpétraient. De telles pratiques ne semblaient pas l'horrifier. Elle ne sentait pas l'abîme s'ouvrir sous ses pieds à la pensée que des mensonges devenaient des vérités. » (p. 221). Tous les deux, ils vont tromper leur entourage (« Elle [Julia] ne parut pas l'avoir [Winston] vu et il ne regarda pas dans sa direction. » p. 157 ; « Une voix derrière lui, appela : « Smith ! » Il fit semblant de ne pas entendre. » p. 161) en conservant une sincérité mutuelle : « Il [Winston] ne fut nullement tenté de lui [Julia] mentir. Commencer par avouer le pire était même une sorte d'holocauste à l'amour. » (p. 174). Leur lutte contre le régime se fera dans l'honnêteté et un peu de naïveté quant au pouvoir du Parti : « S'ils peuvent m'amener à cesser de t'aimer, là sera la vraie trahison. / [...] Ils peuvent nous faire dire n'importe quoi, absolument n'importe quoi, mais ils ne peuvent nous le faire croire. » (p. 237). En effet, ils se sentent même capables de combattre le mal par le mal, ce qui permettra à O'Brien de les détruire moralement en prison : « Vous êtes prêts à tromper, à faire des faux, à extorquer, à corrompre les esprits des enfants [...] ? » (p. 245). Le “retour au système avec réabsorption” se fera sous la torture où le mensonge est naturel (« des moments où la seule vue d'un point qui reculait pour prendre son élan suffisait à lui faire confesser un flot de crimes réels ou imaginaires. » p. 341) et habilement stimulé par O'Brien : « Y a-t-il quelqu'un d'autre que vous désiriez que je trahisse ? » dit Winston (p. 336).

Pour traiter de la dissidence par le mensonge dans Un Bonheur insoutenable, et donc du personnage principal, Copeau, il faut commencer par considérer celui du grand-père, Papa Jan. En effet, l'influence de ce membre de la famille est très importante sur le développement du jeune Copeau et de sa prise de conscience en tant qu'individu. Papa Jan est l'excentrique de la famille, c'est lui qui a rebaptisé chacun d'un autre nom (peut-être aussi ridicule mais moins canonique que celui venant d'uni) : Copeau pour Li, Suzu pour Anne (la mère), Mike pour Jésus (le père), Saule pour Paix (petite sœur). Ce changement de nom est significatif de la dissidence[2] : « C'était de son grand-père que Copeau tenait ce nom. Il avait donné des noms à toute la famille, des noms qui n'étaient pas leurs vrais noms. » (p. 14). Papa Jan va réveiller la conscience de Copeau progressivement et subtilement, en utilisant l'ironie[3] : « Copeau marmonna un vague assentiment, sentant que Papa Jan voulait dire juste le contraire, et qu'en fait, il n'était ni stupide ni ridicule d'avoir quarante ou cinquante prénoms rien que pour les garçons. » (p. 15). Papa Jan s'amuse aussi avec ses auditeurs et sait à quel point leur esprit est triste et borné : « - UNI sait qui l'a construit, dit Papa Jan en souriant. Nous avons droit à quelques privilèges. / - Ce n'est pas vrai, dit le père de Copeau. Personne n'a de privilèges. » (p. 19). Il constitue un pré-Copeau, en opposition avec la normalisation de UNI : « Rends-toi compte, tu vas voir la machine qui va te classifier, te donner une affectation, qui va décider où tu vivras et si tu peux ou non épouser la fille que tu auras envie d'épouser, et dans l'affirmative, si vous pourrez avoir des enfants et quels noms vous leur donnerez... Je comprends que tu sois ému. Qui ne le serait pas ! / Copeau regarda Papa Jan, vaguement inquiet. » (p. 20). Toute la force du grand-père est de laisser l'esprit de son petit-fils prendre seul conscience de son carcan. Le secret que Copeau partage va être le premier motif du mensonge : « - Que voulais-tu dire en disant à ton grand-père que tu essayais ? / - Rien du tout, répondit Copeau. [...] J'essayais de m'habituer à son absence.” (p. 37) ; en fait, Copeau ment : il “essayait de vouloir”, conformément aux souhaits de Papa Jan.

A partir de la mort du grand-père, Copeau va devenir autonome et cultiver son opposition au monde d'UNI. Comme Winston, il ne peut pas se permettre de montrer au grand jour sa dissidence et doit adopter, avec persuasion, une attitude trompeuse : « il était extérieurement un membre heureux et normal. [...] Intérieurement, il était toutefois fort éloigné de la norme. » (p. 59) ; Wei dira « je suis Copeau, un programmeur qui avait presque réussi à me tromper par ses belles paroles, son nouvel œil et les sourires qu'il se faisait dans le miroir » (p. 362) ; « Petit menteur, murmura Wei à son [de Copeau] oreille. » (p. 358). La rencontre avec un autre individu de son âge, Karl, va être importante. En effet, c'est pour lui que Copeau va tromper pour la première fois UNI : « Il posa son bracelet contre le lecteur, ainsi que les étiquettes des combinaisons, du Généticien, puis du cahier et des fusains. Chaque fois, le clignotant vert dit oui. » (p. 52). Karl est lui aussi en opposition avec la société du fait de ses préoccupations artistiques. Pour aller dessiner, il ne respecte pas les horaires prévus par UNI : « Une fois, Copeau le vit s'éclipser du salon peu après le début de la première heure de TV et ne revenir, tout aussi subrepticement, que vers la fin de la seconde. » (p. 46). Il possède lui aussi un autre nom (d'artiste) que celui d'origine : « Tous les dessins étaient marqués du A entouré d'un cercle. / - Pourquoi ce A ? lui demanda Copeau. / - Ah, ça répondit Karl en tournant lentement les pages, c'est l'initial d'Ashi. Ma sœur m'appelait ainsi. »[4] (p. 49). Les dessins de Karl ne correspondent pas non plus aux vues officielles du régime. En effet, Karl ne recherche pas le réalisme, contrairement aux œuvres d'art académiques[5] : « Tu as raison, dit-il, les yeux fixés sur le dessin. Il n'est pas fidèle, mais il est en quelque sorte... mieux que fidèle. » (p. 48). Il élabore de ce fait une reproduction falsifiée de la réalité. On pourra souligner aussi la particularité des dessins de Karl : « il manquait quelque chose, créant un déséquilibre que Copeau ne parvenait pas à cerner. [...] Soudain il comprit. Cela lui fit l'effet d'un coup dans l'estomac. Ils n'avaient pas de bracelets. »[6] (p. 55). Une fois encore, la représentation diffère de la réalité. Karl est aussi un personnage légèrement ambigu, ce qui est sensible lorsqu'il reproche à Copeau d'avoir utilisé une page de cahier pour un petit mot : « - Pourquoi as-tu gâché une page ? lui demanda Karl. / Copeau sourit de sa plaisanterie. / - Je ne plaisantais pas. On ne t'a jamais dit que pour écrire un mot, on prend un vieux bout de papier ? » (p. 53). Revenons à Copeau qui va progressivement tenter de reprendre conscience de son manque de liberté. A partir du moment où il rencontre[7] le groupe de dissidents, il s'épanouit en trompant son entourage : « Il n'en parla pas à Bob RO [son conseiller du moment]. » (p. 62). Il est même incrédule au départ quant aux révélations qui lui sont faîtes : « - Non, dit Copeau. Je ne crois pas un mot de tout cela. / Ils lui affirmèrent le contraire. » (p. 69). La conséquence directe de la rencontre sera l'allégement des traitements. Copeau va devoir jouer un rôle précis (« A la base, la première étape consiste à agir comme si ton traitement était trop fort. » p. 73-74) et tromper son entourage : « - Jeune frère, dit-elle [une femme docteur], tu m'inquiètes. Je pense que tu essaies de nous tromper. » (p. 96). A cette occasion, Copeau découvre la vie publique d'un des membre du groupe, Roi : « Il n'y avait aucun doute : c'était la voix de Roi. » (p. 98-99). Il se tisse donc un réseau complexe entre les personnages qui connaissent la double vie de Roi et ceux qui l'ignorent : « Savait-elle [Flocon de neige] qui était Roi en réalité ? Avait-il le droit d'en parler ? » (p. 102-103). Après être parvenu à la réduction de ses traitements (et avoir souhaité en faire profiter Karl (« Comme il serait heureux de réellement aider Karl ! Avec un traitement diminué, il dessinerait » p. 122), Copeau va succomber aux remords et tout avouer. Plus tard, il va utiliser un autre système pour éviter de subir les traitements : « Il [Copeau] appliqua le pansement sur son bras, à l'endroit où se posait le disque à infusion, puis appuya fermement quelques instants pour le faire tenir. » (p. 179). Il prépare déjà une grande expédition pour récupérer Lilas et quitter le monde unifié. Ce périple nécessitera de nombreuses falsifications : « Le membre qui était descendu de l'avion derrière lui, et qui l'avait aidé à se relever lorsqu'il était tombé, toucha le lecteur du téléphone à sa place. » (p. 188) ; Copeau prend l'avion comme agent de service puis comme voyageur (p. 194-197) ; il fait croire aux membres qu'il a un cil dans l'œil. (p. 202) ; Lilas et lui ne touchent pas certains lecteurs[8] et mentent aux membres ; ils sont presque démasqués par une petite fille[9] (p. 226). Une fois sur l'île, Copeau organise avec grands soins le retour pour détruire UNI. Pour assurer la sécurité des membres du groupe, il met en place un mensonge à trois niveaux, c'est-à-dire une affirmation volontairement fausse qui souffrira un rétablissement imparfait de la vérité à trois reprises : « Un seul d'entre nous va retourner. [...] Les autres se cacheront dans la montagne, se rapprocheront peu à peu de 001 et attaqueront le tunnel dans une quinzaine de jours. » (p. 313), le premier mensonge de Copeau est corrigé (il avait dit que tout le groupe retournerait au premier incident). Cette vérité comporte un autre mensonge : « Pas tellement, dit Copeau. J'avais dit cela pour que nous soyons couverts si jamais il [Buzz] se faisait prendre. En fait, nous continuerons dans quatre ou cinq jours, pas plus. » (p. 315) : Copeau efface son dernier mensonge par une vérité définitive.

Dans une société telle que celle d'UNI, où tous les membres sont gentils, disciplinés, polis, l'hypocrisie devient l'expression du mensonge : « Mais à l'oreille de Copeau, Yin murmura : / - Les proportions sont complètement fausses. Mais c'est gentil à toi de le mettre au mur. Laisse-le. » (p. 50). Yin, qui est l'amie de Karl, lui ment et ne livre son véritable sentiment qu'à Copeau, sentiment pourtant erroné : le propre de l'art n'étant pas de singer la réalité. Les membres sont déresponsabilisés par l'ordinateur. Lorsque Copeau avouera sa duplicité à son conseiller, la réponse sera sans équivoque : « - Je t'ai menti ! / - Je me suis laissé prendre à tes mensonges. Tu sais, Li, personne n'est vraiment responsable de quoi que ce soit. Tu ne tarderas pas à t'en rendre compte. » (p. 170). Le mensonge n'est pas l'apanage du monde unifié ; il existe aussi dans l'île de Mallorca : Le pirate qui les dévalise leur donne un faux nom (Darren Costanza[10]). De même, dans les journaux destinés aux émigrants, ce qui est mensonge pour Copeau apparaît comme vérité pour Lilas : « Copeau lisait ces articles avec mépris, sentant que leur but était de bercer et d'endormir les immigrants qui les lisaient, mais Lilas les prenaient pour argent comptant, pour des preuves évidentes que leur condition finirait par s'améliorer. » (p. 253).