Fonctionnement des personnages par reflets
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L'esthétique du miroir que développe l'auteur dans sa nouvelle prend appuis, dans
une large proportion, sur les personnages, ces "êtres de papier" (ou ici, plutôt
de parchemin), qu'il nous présente. Ainsi, on s'apercevra que chacun d'entre eux
possède son pendant (parfois pluriel), qui lui emprunte souvent une partie de sa personnalité, de sa
nature, de son sens, que ce soit le Minotaure, Thésée, Ariane, les 6 jeunes filles
& 6 jeunes hommes ou même le soleil (dieu) - comme aurait écrit Yourcenar - lui même. Cette propriété du "doppelgänger", cet "autre moi-même", que l'on peut retrouver,
toujours chez Schubert, dans son Chant du Cygne
, permet l'édification de liaisons encore plus subtiles entre les personnages, l'image
qu'ils donnent d'eux au travers de la nouvelle et leur réelle importance. On pourra consulter enfin un schéma récapitulatif de la disposition narrative des personnages principaux.
- Le Minotaure est le seul personnage de la nouvelle à être doté d'une véritable multitude
de reflets, plus ou moins évidents. Notons tout d'abord ne serait-ce que sa propre
image qui se répercute dans les parois : "Elle vit, qui lui faisaient face, des créatures en nombre infini, pareilles à elle, et, se tournant pour ne plus les voir,
retrouva devant elle un nombre infini de créatures semblables". Cette continuelle
suite de doubles accompagnera la créature durant tout le texte, s'interrompant seulement,
à son grand étonnement, avec l'arrivée du soleil, pour recommencer peu après sa disparition.
On peut se reporter au petit schéma récapitulatif et chronologique de l'entrée et
de la sortie des personnages pour s'en apercevoir de manière convaincante. On peut de même considérer les oiseaux charognards comme des êtres similaires au Minotaure
"gypaètes, percnoptères, vautours à calotte, vautours moines, vautours royaux, milans, condors et urubus". Nous ne faisons que relever la présence d'une
analogie possible et en analyserons la signification un peu plus loin. Enfin, il
est possible et même instructif de rapprocher le Minotaure du Thésée que Dürrenmatt
met en place. La aussi, nous nous abstiendrons de commencer maintenant une quelconque interprétation
en avançant seulement que si le Minotaure croit trouver en Thésée (Minotaure) - comme
aurait certainement écrit M.Yourcenar - un être lui ressemblant presque en tous points, c'est en réalité à la rencontre du personnage qui lui est le plus radicalement
opposé qu'il vient. On peut se demander si c'est Thésée qui est l'image du Minotaure
ou bien l'inverse.
- Thésée, comme nous l'avons suggéré, trouve un véritable écho en la personne du Minotaure.
On peut même le considérer comme un équivalent négatif à la suite d'une sorte de
renversement du mythe. Nous développerons ce point plus loin. Le personnage de Thésée se trouve aussi dupliquer et appliquer au jeune homme à l'épée ainsi qu'aux 6
jeunes gens, traités comme une masse et pourtant significatifs dans l'organisation
du texte. En effet, la tentative du jeune homme pour tuer le Minotaure constitue
un signe précurseur de l'action de Thésée à quelques nuances près, notamment celle du déguisement
dont nous reparlerons.
- Ariane, à la manière de Thésée, possède son reflet dans un personnage apparu chronologiquement
avant dans le cheminement de la nouvelle. En effet, la jeune fille qui se trouve
face au Minotaure annonce en plusieurs points la venue d'Ariane "d'un pas dansant" avec son fil rouge. Les 6 jeunes filles reflètent elles-aussi le personnage
d'Ariane, assez peu mis en valeur par l'auteur en comparaison de l'omniprésence
du Minotaure.
- Dans le registre des sujets qui se détachent, au sens pictural du terme, on rencontre
des oppositions plus systématiques, qui tiennent plus du noir et blanc, de l'ombre
et de la lumière. Ainsi, le groupe des 12 jeune gens restant engendre, dans un "gris" neutre, un groupe indistinct qui veut représenter l'homme dans sa généralité face au Minotaure : "l'humanité entière s'abattait sur lui pour
l'anéantir". La lune et le soleil apparaissent comme complémentaire, l'un succédant
à l'autre, ce qui est clairement visible sur le schéma. Le soleil est l'objet qui
est seul capable de supprimer les reflets : "parce qu'à la lumière aveuglante du soleil,
les parois ne jetaient plus d'image". A son tour, la lune va remplacer les reflets
par des ombres, reflets de la nuit en quelque sorte : "Aveuglé par la lune, il revit
aux parois froides ses images, ombres noires qui s'interpénétraient et croissaient jusqu'à
former un pseudo-labyrinthe à l'intérieur du labyrinthe.". Le labyrinthe des images
qu'organise Dürrenmatt dans une esthétique du miroir nous conduit à dépasser l'opposition naturelle entre la lune et le soleil. Nous nous attarderons plus longuement sur
le traitement du soleil rapporté au dieu qu'il est censé représenter.